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1 juillet 2015 3 01 /07 /juillet /2015 17:20
ON AVAIT DIT NEUF VIES ?

Réincarnation : un sujet issu d'un atelier d'écriture...

 

 

 

ON AVAIT DIT NEUF VIES ?

 

 

Ce lit à baldaquin vert pomme sera mon lit de mort. Je le sais, je le sens. Ma vie n'est plus qu'un souffle en route vers l'absence. Mon Dieu, ayez pitié de moi. Ré-incarnez-moi, je vous en supplie... Vous acceptez !? Oh, merci Seigneur... Serait-ce abuser de votre divine bonté de vous demander de faire de moi un chat ? Parce que un chat a neuf vies paraît-il. Vues de ma mort imminente, quelques vies supplémentaires me semblent si appréciables.

Je serais un gros matou ronronnant et flegmatique. J'aurais une famille aimante qui m'aurait installé une chatière dans la porte d'entrée. Je pourrais faire autant de balades que je le souhaite. Je partirais, vagabond, sur les toits du village. Car j'habiterais un village, avec plein de ruelles, de tuiles rouges et pentues, de gamelles de croquettes sur le bord des fenêtres. Tout autour, des près, des champs, des forêts. J'aurais le choix pour mes escapades. Fort de mes neuf vies, je pourrais gambader, escalader, sauter, que sais-je... Même si je tombais du clocher de l'église, je saurais qu'il me reste encore huit vies ; et même si je chutais dans le torrent, j'abandonnerais une autre vie, je sortirais mouillé mais vainqueur de l'épreuve. Et j'aurais encore sept vies !

J'irais explorer les caves sombres, traquer les rats embusqués, les souris timides. Juste pour jouer, pour l'adrénaline ! Parfois, il se pourrait que ce soit moi la proie. Il y a beaucoup de chiens dans le village, pas toujours accommodants... Je grimperais au sommet d'un arbre pour les narguer ; ils seraient furieux ! Peut-être que je ne saurais plus redescendre... ? Exercice périlleux. Une autre vie sacrifiée et me voilà sur la terre ferme. Voyons... il m'en reste combien ? Six. Bon, ça va, j'ai de la marge mais par sécurité, je vais quand même rentrer chez moi.

La chatière fait “ flip-flop ”. Me voici dans l'entrée avec des “ mmmroouuu ” de bien-être. Je me frotte contre un meuble de la pointe de ma babine à l'extrémité de ma queue. Bang ! Un parapluie dégringole, me heurte avant de retentir sur le sol. Cette chose malfaisante a failli m'embrocher ! Zut... plus que cinq vies. Va falloir que je sois prudent.

Mon panier, vite... En passant devant la cuisine, une délicieuse odeur de poisson fait frétiller mes moustaches. Comment résister à cet appel gourmet ? Truffe en avant, narines dilatées, je stoppe net devant la poubelle. Gratte, saute, tire, pousse... elle se renverse et me livre une magnifique tête de sardine. Canines affûtées en action... Je me régale quand “ arghhh ”, je m'étouffe. Une arête s'est coincée au fond de ma gueule. Crache, racle, feule, rien n'y fait. Ce tintamarre attire le fils de la maison, mon sauveur ! Ouf ! Je respire... et j'ai perdu une autre vie. Il ne m'en reste que quatre !

Épuisé, démoralisé par ce compte à rebours, j'opte pour une sieste. Panier, ronron, “ mrroouu ”, on est bien là. Léchouille, gratouille, léchouille, gratouille, gratouille, gratouille... Des puces ! Plein le panier ! Et des voraces ; je deviens fou. Je cours comme un dératé dans la maison, je cavale après ma queue, je dérape des pattes arrière, je me tortille, me déhanche, déboule sur trois pattes, comme si ça pouvait m'en débarrasser, comme si le ridicule de ma prestation allait les faire tomber de rire... ! Dans un dernier dérapage, je me cogne sur le coin de la table basse. Sonné ! Raide sur le carreau, une vie de plus... en moins... je n'en ai plus que trois.

Le fils de la maison, encore lui, me plonge dans la baignoire pour un vigoureux shampoing anti-puce. L'eau dégouline sur mon pelage, la mousse pique les yeux, je suffoque ; il va me tuer le bougre ! La douche se déchaîne, je me noie. Une autre vie s'échappe. Enseveli sous une serviette, étrillé, le poil hérissé, je réalise l'horreur de la situation : plus que deux vies !

Je me sauve vers un endroit plus sûr. Dans le couloir, cri strident, roulement assourdissant. Des patins à roulettes surmontés d'une fillette survoltée et surtout maladroite, écrasent le bout de ma queue. Un bond plus tard, le vase de Chine se brise, mes coussinets en emportent quelques morceaux en abandonnant mon avant-dernière vie.

Je n'ai plus droit à l'erreur. Je file vers une tanière sécurisée, le lit de Mémère. Sous le baldaquin vert pomme, Mémère agonise. Je me couche sur sa poitrine tel un Sphinx ; elle expire. Son souffle pénètre ma conscience, me propose une ligne de vie : je serais un gros matou ronronnant et flegmatique...

 

 

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