Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 novembre 2023 5 10 /11 /novembre /2023 07:47
 
Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. J’ai juste vu un jean, un pull, des cheveux châtains, des lunettes, la silhouette d’un homme jeune, un violon, ou plutôt son étui, tout ça en l’espace d’une milliseconde. J’ai salué brièvement de la tête et me suis replongé dans mon bouquin.
Mais il avait rompu ma précieuse tranquillité. Sa présence sur ce banc m’empêche de me concentrer sur ma lecture. De plus, je sens son regard insistant sur moi, qui m’examine sans gêne.
Didier… ?
Diable ! Ce jeune homme connaît mon prénom.. Je lève la tête, le dévisage à mon tour.
Euh… oui, mais je ne vois pas trop…
Eric, on était en terminale ensemble.
Comme un abysse. Je tombe tout droit dans des souvenirs que je veux oublier. Le lycée Carnot, la salle de chimie, les éprouvettes… Je le détaille, c’est lui et ce n’est pas lui. Le Eric de ma classe de terminale, un rebelle à cheveux longs, crasseux, fume des joints dans les toilettes, embête les filles, et me persécute dès qu’il en a l’occasion. Mais le Eric qui se tient près de moi sur ce banc est propre, soigné et m’offre un regard amical. Quelle métamorphose ! Et un violon.. ? La seule musique qu’il écoutait à s’en faire péter les tympans était du métal sauvage, guttural, aux lignes de basses tonitruantes.
Je suis content de t’avoir retrouvé, me dit-il. Ça fait longtemps que je te cherche, tu sais. J’ai dû passer par les anciens du lycée, remonter les pistes. Personne ne savait ce que tu étais devenu, où tu habitais. Finalement, c’est Françoise qui m’a renseigné. Tu te souviens de Françoise ?
Françoise, une jolie brune sans histoire, discrète et sympa. Bien sûr que je m’en souviens…
Françoise crèche dans le quartier, me raconte Eric. Elle passe souvent par ce jardin, elle t’a reconnu, sur ce banc avec ton livre. Mais elle n’a jamais osé t’aborder à cause de… tu sais... Je crois bien qu’elle avait le béguin de toi à l’époque.
Première nouvelle ! Dommage que je n’ai pas eu le temps de m’en rendre compte à l’époque. La colère monte en moi. Je le toise :
Pourquoi t’es là ? Qu’est-ce que tu veux ?
Eric regarde ses pieds, soupire, ouvre la bouche, la referme... cherche ses mots.
Je suis venu pour qu’on parle de ce qui s’est passé ce jour-là.
J’ai envie de fuir, ça remue trop la douleur, j’ai envie de hurler… Il pose sa main sur mon épaule.
C’est important pour toi et pour moi, faut mettre tout au clair, on vivra mieux après.
Pas l’impression qu’il vive si mal que ça lui, avec son violon ! C’est moi qui aurait dû l’avoir ce violon, c’est moi qui étais admis au conservatoire… J’ai envie de le tuer..
Il ajoute :
Il faut qu’on se rappelle les faits, le comment, le pourquoi.
Le comment, le pourquoi… la salle de chimie… un joli jour de mai ensoleillé. On était en classe devant nos éprouvettes à mélanger des trucs dont j’ai oublié le nom quand, près de moi, s’est approché un léger parfum. Françoise. Tellement belle…
 
 

Partager cet article

Repost0

Présentation

  • : Des textes issus d'ateliers d'écriture...
  • Contact

Profil

  • ALBIREO

Recherche